A ce jour, les discussions politiques sur les réponses fiscales à Covid-19 se sont surtout portées sur sur l’allègement fiscal immédiat. La logique de ces discussions est claire: allégement fiscal aujourd’hui, augmentation des recettes à l’avenir afin de compenser. Ce blog explore un argument moins conventionnel : les gouvernements africains devraient envisager immédiatement le maintien – voire même l’augmentation – de l’imposition des riches en particulier. Ainsi, ce blog présente les arguments en faveur de cette stratégie, examine les tenants et aboutissants de ce que cela pourrait impliquer, ainsi que les politiques à mettre en œuvre pour la concrétiser, dans l’espoir de susciter un débat plus vaste.
Pourquoi se focaliser sur l’imposition des riches maintenant ?
Il y a au moins quatre raisons pour lesquelles les réponses fiscales africaines à la Covid-19 devraient moins mettre l’accent sur l’allègement fiscal et accorder une plus grande priorité à l’imposition des personnes riches :
- La portée limitée des systèmes fiscaux formels : Les systèmes fiscaux formels en Afrique ont une portée relativement limitée des particuliers et les entreprises. L’allègement fiscal généralisé du secteur formel profiterait ainsi largement aux particuliers relativement riches et aux entreprises aisées.
- La dette extérieure élevée limite les dépenses publiques : De nombreux pays africains sont déjà confrontés à des problèmes d’endettement croissants, ce qui limite l’ampleur des mesures prises par les pouvoirs publics. L’allégement de la dette serait utile, mais son application tenant compte de l’ampleur et du calendrier nécessaires présente des incertitudes.
- Les coûts cachés du manque de recettes: Lorsque les riches ne paient pas d’impôts, ce sont souvent les pauvres qui en subissent invisiblement les conséquences. Il est de plus en plus évident aujourd’hui que les déficits de financement en première ligne sont souvent comblés par des frais d’utilisation informels et des contributions payées par les pauvres.
- Le coût élevé de l’attente : Les administrations africaines sont probablement confrontées à d’importants défis techniques, politiques et en terme de capacité aussi bien aujourd’hui dans la mise en œuvre des mesures temporaires d’allègement fiscal, que dans le futur, quand il s’agira de reprendre avec une accélération rapide après la crise.
Dans les pays à faible revenu, il est plus difficile de trancher entre le désir d’offrir un allègement fiscal, et le besoin de recettes pour soutenir les programmes de protection sociale à court terme afin d’éviter les réductions de services publiques à moyen terme. Cependant, la réduction des recettes peut faire plus de mal que de bien si elle entraîne une réduction des dépenses publiques ciblant les pauvres. L’imposition des riches – malgré ses risques et ses difficultés – peut être la meilleure façon de répondre aux besoins parallèles.
Conformément à cette logique, voici les derniers éléments d’une liste de réponses fiscales possibles publiée récemment par le FMI (télécharger ici) : « Surveiller étroitement les larges contribuables susceptibles de pouvoir se conformer aux obligations de déclaration et de paiement standards » et « Envisager une augmentation des taux d’imposition sur le revenu/les biens de haut standing/les impôts sur la fortune, peut-être par le biais d’une « majoration de solidarité ».
Un programme pour l’Afrique
À plusieurs égards, l’idée selon laquelle les riches devraient soutenir la réponse à la Covid-19 est acceptée au sein des sociétés africaines et des pays à faible revenu. Cela se traduit par des appels officiels et non officiels à des contributions caritatives – y compris, par exemple, la zakat dans les pays à majorité musulmane. Pourtant, ce même discours n’a pas encore été entièrement transposé dans le domaine fiscal. Au vue du contexte actuel, les gouvernements africains devraient:
- Augmenter les revenus de ceux qui ont une plus grande capacité de paiement ;
- Collecter les impôts qui sont le moins susceptibles d’avoir des effets négatifs à court terme sur l’économie ;
- Il faut le faire d’une manière n’impliquant pas de changements politiques ou administratifs importants.
Mais qu’est-ce que cela signifierait concrètement et dans les faits? Cela nous dirigerait vers une imposition plus importante des riches et des plus fortunés. Quatre stratégies plus concrètes pourraient guider les efforts des gouvernements :
1. Commencer par les impôts existants et insuffisamment utilisés : les impôts sur le revenu des particuliers et l’impôt foncier
Nous avons plusieurs preuves qui étayent que la majorité des riches en Afrique paie beaucoup moins d’impôt sur le revenu particulier et de taxes foncières qu’ils ne le devraient selon la loi. Ces deux impôts devraient avoir un coût minimal à court terme pour l’économie en général, en particulier s’ils sont utilisés pour financer des transferts directs aux pauvres ou pour alimenter la consommation domestique à court terme et la continuité des affaires. Ce recouvrement pourrait être considérablement amélioré sans qu’il soit nécessaire de procéder à des réformes politiques ou administratives majeures.
Dans les pays de l’OCDE, l’impôt sur le revenu des particuliers représente environ 10 % du PIB, les 10 % de contribuables les plus importants contribuant à plus de la moitié des recettes de l’impôt sur le revenu. Dans les pays en développement, l’impôt sur le revenu des particuliers ne représente qu’environ 2 % du PIB, avec des déficits flagrants dus en grande partie à l’absence d’imposition des riches. Cela est particulièrement vrai pour les revenus non salariaux – tels que les gains en capital, dividendes, intérêts, revenus locatifs ou services professionnels – qui reviennent de manière disproportionnée aux plus riches.
L’impôt foncier est particulièrement important dans le soutient des budgets et des services vulnérables des collectivités locales. Dans les pays de l’OCDE, plus de 2 % du PIB proviennent de l’impôt foncier, alors qu’en Afrique, ce pourcentage n’est en moyenne que de 0,4 %. Là encore, cet écart est principalement dû à l’inadéquation de l’administration et de l’application de la loi à l’égard des riches. Les marchés immobiliers africains sont en plein essor. Cependant, les biens de grande valeur des particuliers fortunés (qui constituent la grande majorité de la valeur imposable) sont régulièrement et fortement sous-évalués, ne sont pas sujets à l’imposition, ou alors les factures fiscales restent simplement impayées. Nous avons la preuve que lorsque les gouvernements sont suffisamment motivés, ils ont la capacité d’identifier ces contribuables, leurs revenus et leurs biens, et d’améliorer rapidement le recouvrement. Ce qu’il faut, c’est une volonté et un engagement administratif et politique.
2. Élargir l’assiette fiscale des riches contribuables
Le renforcement de l’application de la législation en ciblant les riches qui sont déjà dans le filet fiscal laisserait de côté les nombreux contribuables (souvent les plus riches) qui ne sont pas enregistrés du tout, ou dont les revenus ne sont presque pas enregistrés, pour des raisons politiques ou pour simple cause d’inaptitude administrative. Cela se traduirait par une perte de revenus et une baisse de la confiance du public. L’identification des contribuables et des revenus manquants pourrait être moins difficile qu’il n’y paraît. Pour étendre les taxes foncières et les impôts sur les revenus locatifs, les autorités peuvent visiter les propriétés et les quartiers de haut standing, y compris ceux loués par les donateurs, les ONG et les ambassades, afin d’en identifier le propriétaire et déterminer son imposition. Pour étendre la collecte de l’impôt sur le revenu, ils peuvent également rechercher les propriétaires des grandes propriétés, de voitures de luxe, de grandes entreprises ou de portefeuilles d’actions importants, ou exploiter les connaissances du grand public sur les personnes fortunées dans différents secteurs. Parler d’« élargissement de l’assiette fiscale » en Afrique revient souvent à taxer implicitement les petites entreprises et les entreprises informelles. Mais c’est l’élargissement de l’assiette fiscale des riches contribuables qui est le plus nécessaire. Concentrer les ressources administratives sur cette tâche essentielle devrait permettre de générer d’importantes recettes.
3. Dans un premier temps, il faudrait simplifier les choses
Certains commentaires internationaux ont porté sur l’introduction d’impôts généraux sur la fortune ou sur l’imposition de surtaxes sur les revenus et les impôts fonciers (télécharger). Il s’agit peut-être là de bonnes idées. Cependant, il est sans doute préférable de commencer par appliquer les lois existantes de manière plus efficace en Afrique. En se concentrant sur les taxes existantes comme l’impôt sur le revenu et l’impôt foncier, on évite les complexités politiques et administratives de changements plus vastes, et le risque que les nouvelles taxes ne soient pas appliquées, ou qu’elles ne le soient que pour une petite partie des riches. Si des surtaxes pour les riches sont envisagées, elles pourraient être particulièrement utiles pour les impôts fonciers où elles peuvent constituer une stratégie à court terme pour compenser la sous-évaluation des propriétés de grande valeur. Les gouvernements pourraient également envisager des surtaxes ciblées sur la consommation de produits de luxe, notamment l’alcool et les cigarettes, dont les marques onéreuses sont consommées en très grande majorité par les plus aisés.
4. Si cela s’avère utile, il faut offrir une aide ciblée
L’impôt sur le revenu des particuliers et l’impôt foncier incombent principalement aux riches. Mais ils peuvent également avoir un impact sur la classe moyenne au sens large. Dans certains cas, les gouvernements peuvent juger utile de relever temporairement les seuils de paiement, afin (a) d’exonérer les personnes les plus vulnérables, (b) de recentrer les ressources administratives sur les contribuables les plus riches et (c) d’obtenir un soutien politique pour le recouvrement. Même en exonérant les 50 % de biens ou de revenus des plus petits contribuables, on risque de ne réduire les recettes que de 10 à 15 %. Les fonctionnaires du fisc pourraient atteindre le même objectif de manière informelle en recentrant presque toutes les ressources administratives sur les riches, sans annoncer officiellement les exemptions pour les personnes à faibles revenus. L’essentiel sera de prouver aux contribuables que toute exonération bénéficie réellement aux personnes à faible revenu et qu’elle s’accompagne d’un recouvrement effectif auprès des riches.
Faire de l’imposition des riches une réalité politique
Le défi principal est probablement politique. Cependant, c’est peut-être le moment où jamais pour s’attaquer à un défi politique persistant. Le besoin de recettes n’a jamais été aussi grand, et les avantages potentiels des dépenses publiques pour soutenir les personnes vulnérables n’ont jamais été aussi évidents. Les pays pourraient également trouver un plan concerté d’imposition des riches très utile pour plaider en faveur d’un soutien accru de la part des donateurs.
En Occident, il y a eu des moments de problème national critique – notamment la mobilisation en temps de guerre – qui ont contribué à l’expansion de la fiscalité sur les revenus et la richesse (paywall), galvanisée par des besoins fiscaux accrus et des demandes populaires renforcées. Chaque pays devrait suivre sa propre voie en ce qui concerne des questions aussi fondamentales. Cependant, la recherche suggère quelques idées qui pourraient s’avérer utiles :
- Elaborer une nouvelle politique fiscale populaire : Les gouvernements ont la possibilité de faire valoir publiquement l’importance de la fiscalité et des services publics, ainsi que l’obligation morale des riches de contribuer. La grande majorité des Africains auraient évidemment et immédiatement intérêt à s’attaquer aux échecs de l’imposition des riches – cette crise est une occasion de les mobiliser. Les gouvernements peuvent également s’adresser directement aux riches, qui peuvent parfois contourner les services publics inadéquats, mais ne peuvent pas simplement éviter cette crise (ou d’autres à venir). Les preuves de l’interdépendance sont visibles et le sentiment de solidarité nationale s’accroît dans de nombreux endroits.
- Renforcer la confiance du public : Le soutien du public à l’imposition des riches – y compris les riches eux-mêmes – est resté faible, en partie parce que les contribuables n’ont pas confiance aux systèmes fiscaux, ou du fait que les recettes seront bien utilisées. Les gouvernements ont la possibilité de répondre à cette méfiance. En rendant publiques les montants des impôts perçus, ou même les contributions volontaires des riches contribuables, l’état peut prouver son engagement à assurer une perception plus équitable et transparente des impôts. Parallèlement, l’affectation de nouvelles recettes à une expansion significative des transferts aux groupes à faible revenu ou aux petites entreprises, par exemple, pourrait renforcer la confiance du public dans l’utilisation des recettes au profit de la collectivité.
- Agir de manière décisive, mais souple : Il y a un risque évident à étendre considérablement l’application de la loi d’un seul coup pendant une crise. Mais il est tout aussi risqué d’attendre ou de tenter d’élaborer un plan à long terme trop « parfait ». Les opportunités politiques peuvent être éphémères. Les besoins en recettes interviendront rapidement, alors que les administrations évoluent souvent lentement. Les gouvernements seraient bien avisés de commencer à agir dès maintenant, de manière souple et progressive, pour susciter et soutenir le débat et l’attention du public. Un point de départ pourrait être un appel et une reconnaissance publique, peut-être par une conformité accrue, ou des contributions volontaires de la part des riches. En associant ces appels à des dépenses publiques visibles pour répondre à la crise, il est possible d’obtenir le soutien nécessaire pour accélérer la collecte de données et l’application de la législation, le cas échéant.
Pour conclure, tout cela dépend du leadership politique – et donc potentiellement des demandes fiscales de la société civile et d’autres acteurs en Afrique. Une telle volonté politique est plus que jamais nécessaire.
Il convient de remercier Mick Moore et Giulia Mascagni pour leurs commentaires utiles, ainsi que Graeme Stewart-Wilson et Rhiannon McCluskey pour leur aide lors de la rédaction de cet article.