Depuis plus de 30 ans, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a désigné le 31 mai comme la Journée mondiale sans tabac, dans le but d’informer le public du danger du tabagisme, première cause évitable de décès dans le monde.
Une menace imminente
L’Afrique est vulnérable à l’industrie du tabac. Bien que les taux mondiaux de tabagisme aient diminué de plus de 10% depuis 2000, la consommation du tabac augmente en Afrique. L’OMS estime que le nombre de décès imputables au tabac sur le continent doublera d’ici à 2030.
Cette augmentation est due à l’utilisation par l’industrie du tabac de tactiques de marketing agressives pour cibler la population jeune et croissante du continent, ainsi qu’aux pressions et intimidations exercées sur les gouvernements pour affaiblir la réglementation.
Les coûts du tabagisme pour la société sont très élevés, tant en termes de coûts directs des soins de santé que de perte de productivité due à la maladie et au décès. Alors que l’augmentation du prix des produits du tabac est généralement reconnue comme l’un des moyens les plus efficaces de prévenir le tabagisme et de promouvoir l’arrêt du tabac, les cigarettes sont en fait devenues plus abordables dans toute l’Afrique de l’Ouest entre 2008 et 2018.
Cigarettes bon marché : Entre 2008 et 2018, les cigarettes sont effectivement devenues plus abordables dans toute l’Afrique de l’Ouest, avec des prix pour un paquet de 20 de la marque la plus vendue variant entre 1,14 et 4,66 dollars internationaux en parité de pouvoir d’achat.
Efficacité de l’augmentation des taxes sur le tabac
La taxation du tabac est la mesure la plus rentable pour réduire le tabagisme et améliorer la santé, notamment chez les jeunes, tout en augmentant les recettes publiques.
Cependant, l’Afrique est bien en retard par rapport aux autres régions pour ce qui est de la mise en œuvre de politiques fiscales fortes en matière de tabac. L’OMS recommande que les droits d’accises sur le tabac représentent au moins 70% du prix de détail des produits du tabac. En Afrique de l’Ouest, la moyenne se situe bien en dessous, avec seulement 14%.
La faible utilisation des taxes sur le tabac est en grande partie due à l’industrie du tabac, qui émet souvent des affirmations exagérées et fausses sur les effets potentiels de l’augmentation des taxes, notamment sur l’augmentation de la contrebande. Toutefois, une enquête a révélé que de grandes entreprises du secteur ont tiré profits du commerce illicite du tabac et y ont été directement impliquées, y compris la British American Tobacco récemment en Afrique de l’Ouest.
Les recherches disponibles indiquent que la relation entre la taxation et la contrebande est plus complexe, et que cette tactique de peur ne devrait pas dissuader les gouvernements d’augmenter les taxes sur les produits du tabac. Cependant, des recherches plus rigoureuses et indépendantes sont nécessaires pour informer les décideurs politiques de la région, ce que notre projet conjoint vise à accomplir.
Étude de recherche modélisant l’impact des politiques fiscales sur le tabac en Afrique de l’Ouest
Pour lutter contre la hausse des taux de consommation du tabac dans la région, les deux blocs économiques ont adopté de nouvelles directives sur la taxation du tabac en décembre 2017. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est composée de 15 pays (Bénin, Burkina Faso, Cabo Verde, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo), tandis que l’UEMOA est une composante de la CEDEAO comptant 8 pays membres francophones.
Les directives des deux instances ont porté à 50% l’accise minimale ad valorem sur le tabac. Ce taux est prélevé sur la valeur d’importation/prix de production, qui est très faible par rapport au prix de détail en Afrique de l’Ouest, et n’a donc qu’un faible impact sur la taxe totale appliquée. Il convient de noter que la Directive de la CEDEAO a également introduit une taxe spécifique minimale de 0,02 USD par cigarette, qui ne dépend pas des prix et qui est plus efficace pour augmenter la charge fiscale totale.
Dans une étude publiée récemment, Corne Van Walbeek et moi-même avons utilisé des modèles de simulation fiscale avec des données comparables pour chacun des 15 pays de la CEDEAO, en utilisant les taux d’imposition et les structures fiscales de chaque pays, pour estimer les effets des deux directives sur les prix des cigarettes, les volumes de vente et les recettes fiscales (voir tableau ci-dessous).
Si les 15 États membres de la CEDEAO mettent en œuvre la directive de la CEDEAO, celà entraînera une augmentation substantielle du prix de détail des cigarettes (de 51% en moyenne) et une diminution des volumes de vente (22%), tout en augmentant les recettes fiscales de près de 400%. Il s’agirait d’un changement majeur qui porterait la charge de la taxe d’accise dans les pays de la CEDEAO à 37%, soit plus que la moyenne régionale africaine qui est de 28%.
En revanche, l’impact de la directive de l’UEMOA est très faible. Le prix des cigarettes n’augmente que de 2% alors que les ventes diminuent de 1%, et les recettes fiscales n’augmenteraient que de 17%. Dans trois des huit pays de l’UEMOA, la nouvelle directive n’exige aucune modification du statu quo.
L’augmentation des droits d’accises sur les cigarettes jusqu’aux minima de la CEDEAO entraînerait une hausse substantielle des prix de détail, une réduction des volumes de vente et une augmentation des recettes fiscales de près de 400%.
Prévenir les décès et les maladies et générer des revenus pour le développement
Sur la base des résultats des modèles de simulation fiscale, nous avons fortement recommandé aux États membres de la CEDEAO de mettre en œuvre la directive, et aux pays membres de l’UEMOA de choisir de se conformer à la directive de la CEDEAO plutôt qu’à celle de l’UEMOA.
Si aucun pays de l’Afrique de l’Ouest n’a encore adapté ses politiques à la directive de la CEDEAO, il est primordial qu’ils le fassent. Le coût du tabac dans la région ne cessera de croître si les gouvernements ne prennent pas des mesures décisives pour en limiter la consommation.
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, des organisations telles que le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE ont exhorté les gouvernements à augmenter les taxes sur les produits nocifs comme le tabac afin de contribuer au financement des systèmes de santé et de la reprise. Les organisations de la société civile en Afrique de l’Ouest (notamment au Ghana, au Nigeria et en Côte d’Ivoire) ont également plaidé en faveur d’une augmentation des taxes sur le tabac.
Pour éviter les coûts énormes de l’épidémie imminente de tabagisme sur les vies, les moyens de subsistance et les budgets de santé, il urge que les gouvernements mettent en œuvre une telle politique gagnant-gagnant pour la santé publique et les économies de l’Afrique de l’Ouest.
Pour en savoir plus, veuillez consulter nos fiches d’information sur les 15 pays de la CEDEAO.