L’un des arguments les plus solides pour investir dans la capacité fiscale des pays en développement est le fameux dividende participatif de la fiscalité. En plus de fournir davantage de recettes fiscales grâce auxquelles le gouvernement pourra assurer des services publics de base, la collecte des taxes est censée stimuler l’engagement des citoyens vis-à-vis du gouvernement et au final, établir la responsabilité politique. Il existe aujourd’hui une multitude de preuves d’un dividende participatif de fiscalité dans les pays en développement, qui couvrent des contextes et des méthodes de recherche variés. S’appuyant sur des données antérieures issues de régressions entre pays, d’études de cas approfondies, d’enquêtes et d’expériences en laboratoire de terrain, un nouvel article, publié en juillet dans le Quarterly Journal of Economics, fournit des preuves supplémentaires d’une expérience politique aléatoire en République démocratique du Congo.
Preuves issues de la campagne sur la taxe foncière de 2016 à Kananga
En 2016, le gouvernement provincial du Kasaï-Central a voulu augmenter ses recettes en étendant la taxe foncière au-delà du petit groupe d’entreprises du centre-ville qui la payaient avant. Une campagne de porte-à-porte a été organisée dans toute la ville, et les collecteurs se sont inscrits et ont réclamé la taxe foncière auprès des citoyens.
Plus important, le gouvernement a déployé cette campagne de manière aléatoire au niveau des quartiers. Ainsi, un peu plus de la moitié des 431 quartiers que compte Kananga ont reçu la visite des collecteurs d’impôts en 2016, tandis que les quartiers restants devaient en recevoir à l’avenir. Le gouvernement a choisi de sélectionner au hasard les quartiers de la première phase de la campagne afin de mener à une évaluation rigoureuse de son impact. La comparaison entre les quartiers « sous traitement », ayant reçu des collecteurs, et les quartiers « sous contrôle », qui n’en ont pas reçu, révèle l’effet causal de la campagne fiscale sur les recettes fiscales et sur la participation politique.
D’après la base de données nationale sur la taxe foncière, la campagne a permis d’augmenter de plus de 11 points de pourcentage la conformité vis-à-vis de la taxe foncière. Bien que la majorité des citoyens évitent encore de s’acquitter de leurs taxes, le taux de conformité vis-à-vis de la taxe foncière a atteint des niveaux comparables à ceux des capitales des pays africains plus nantis. Ce fut une réalisation impressionnante pour la première campagne de taxe foncière à grande échelle de la ville, et le gouvernement prévoit d’autres améliorations en matière de conformité à l’avenir.
La campagne fiscale a également stimulé l’engagement des citoyens vis-à-vis du gouvernement provincial. Les citoyens vivant dans les quartiers sous traitement étaient plus susceptibles d’assister aux réunions publiques organisées par le ministère provincial des finances que ceux des quartiers sous contrôle. Ils étaient également plus susceptibles de fournir des évaluations anonymes du gouvernement dans une boîte verrouillée au centre-ville de Kananga. Par ailleurs, les citoyens ont dépensé en moyenne une journée entière de salaire pour participer à ces activités, ce qui démontre le prix qu’ils attachent au fait d’avoir une voix au sein du gouvernement provincial.
Fait important, les citoyens semblent avoir choisi de participer afin de négocier avec le gouvernement provincial pour obtenir un meilleur accord fiscal. « Pourquoi les habitants de Lukonga devraient-ils payer des impôts alors que les routes sont dans un état aussi désastreux ? », a demandé un participant. Ils ont également réclamé plus de transparence et de responsabilité en matière de dépenses. « Le gouvernement provincial devrait en faire plus et nous informer sur la manière dont cet argent sera dépensé pour les infrastructures publiques et non gaspillé à d’autres fins », a fait remarquer un autre citoyen.
Ainsi, se basant sur une expérience politique aléatoire menée dans un pays pauvre en ressources et dont les capacités étatiques sont faibles, le présent document apporte la preuve que la collecte de taxes accroît la participation et les exigences des citoyens pour une gouvernance responsable. Les résultats confirment l’idée selon laquelle investir dans la capacité fiscale peut à la fois permettre une plus grande fourniture en biens publics à l’avenir et contribuer à l’instauration d’une gouvernance plus inclusive.
Les pistes pour des enquêtes futures
Bien sûr, il existe non seulement d’importantes limites quant à la validité externe de ces résultats, mais aussi de nombreuses questions connexes qui pourront faire l’objet de recherches supplémentaires.
Premièrement, la campagne de collecte de 2016 à Kananga a été la toute première fois où de nombreux citoyens ont été invités à payer la taxe foncière. Elle reflète un changement discret dans le contrat social implicite entre les citoyens et le gouvernement, mais ne nous apprend pas l’impact qu’auront de nouveaux efforts de collecte de taxe sur la participation. Le dividende participatif de la fiscalité s’érode-t-il lorsque les citoyens s’habituent aux recours fiscaux, ou est-il soumis à des augmentations marginales dans l’application ? Une étude en cours sur une réforme de la taxe foncière à multiples facettes en Sierra Leone aborde ces questions, mais il reste encore beaucoup de zones sujettes à des recherches supplémentaires dans ce domaine.
Deuxièmement, les groupes marginalisés peuvent être confrontés à de lourdes charges fiscales, mais se voient souvent refuser la possibilité de négocier. À Kananga, les hommes représentent 75% des citoyens qui participent aux réunions publiques. Il est donc très nécessaire de trouver des preuves supplémentaires des effets hétérogènes de la fiscalité sur la participation selon le genre, l’origine ethnique et le statut socio-économique.
Troisièmement, la taxe foncière est un impôt direct, et la campagne de collecte à Kananga a bénéficié d’une grande visibilité auprès des citoyens. Les impôts indirects sont moins visibles, ce qui se traduit par des coûts plus élevés payés par les citoyens pour les biens et services qu’ils consomment. Les impôts indirects entraînent-ils un dividende de participation plus faible ? Un document de travail récent examine les régressions au niveau des pays et les expériences en laboratoire de terrain pour suggérer qu’en effet, les impôts indirects entraînent moins de revendications de la part des citoyens parce qu’ils sont moins visibles. Les chercheurs pourraient examiner cette question plus en profondeur en exploitant les particularités du déploiement des taxes sur la valeur ajoutée au cours des dernières décennies, ou plus généralement en étudiant la façon dont les variations dans l’importance de l’application des taxes par les gouvernements façonnent la réponse politique des citoyens.
Quatrièmement, la campagne de 2016 a été menée par le gouvernement provincial dans la capitale de la province. Ainsi, le gouvernement qui a perçu et dépensé les nouvelles recettes fiscales était géographiquement proche des contribuables visés, et le flux des recettes était simple. En revanche, de nombreuses taxes, y compris l’impôt sur le revenu, sont collectées localement et versées au niveau national avant qu’elles ne reviennent (en théorie) aux provinces sous forme de rétrocessions. Dans de tels cas, savoir l’entité que les citoyens doivent tenir pour responsables est moins évident. La façon dont le lien entre les taxes et les dépenses influe sur le dividende participatif est très importante étant donné que l’impôt sur le revenu semble représenter une part croissante des recettes au fur et à mesure que les pays se développent.
Cinquièmement, les entreprises sont les principaux contribuables dans les pays en développement et représentent souvent une voix influente en politique. La manière dont l’application accrue de la fiscalité des entreprises façonne leur engagement politique est une question importante peu explorée dans la documentation sur la responsabilité fiscale. Intégrer les petites entreprises dans le filet fiscal peut contribuer à garantir leur participation au processus politique et à améliorer la responsabilité des gouvernements, a écrit le FMI en 2011. Il serait utile de disposer de preuves supplémentaires pour vérifier cette assertion, en particulier à la lumière d’études récentes mettant en évidence des obstacles majeurs à l’engagement des petites entreprises dans la pratique.
Sixièmement, la collecte des taxes en Afrique subsaharienne et dans d’autres pays en développement implique tout un ensemble d’acteurs différents. Par exemple, les autorités coutumières jouent un rôle important dans la fiscalité formelle et « informelle » en RDC et dans de nombreux autres pays. La manière dont l’engagement de ces acteurs façonne le dividende participatif de la collecte des taxes est un autre sujet qui nécessite des preuves supplémentaires.
Enfin, la réponse des citoyens après avoir observé la manière dont le gouvernement dépense les recettes fiscales nouvellement perçues reste un sujet important. Une étude en cours au Pakistan, par exemple, examine les réponses à (a) tout approvisionnement en biens publics, et à (b) la capacité des citoyens à choisir les biens publics pour lesquels leurs taxes seront dépensées. En outre, des recherches similaires sur les nouvelles taxes et la budgétisation participative sont menées en Sierra Leone. Ces études prometteuses devraient, espérons-le, aboutir à une nouvelle documentation empirique sur l’émergence et l’évolution des contrats sociaux basés sur la fiscalité.
Lisez le résumé de l’Initiative pour la taxe foncière en Afrique, Faire le lien entre recettes de la taxe foncière et services publics.