Au Rwanda, les systèmes de déclaration et de paiement des impôts en ligne sont obligatoires depuis 2015 dans le cadre de la stratégie nationale du gouvernement visant à numériser l’économie. Le gouvernement a également encouragé l’adoption des services d’argent mobile pour les paiements numériques des commerçants.

Des données récentes issues de deux enquêtes de l’ICTD sur les contribuables rwandais révèlent que tous ne sont pas d’accord. Alors que les paiements numériques ont connu un essor pendant la pandémie de COVID-19, de nombreux commerçants sont revenus à l’argent liquide.

Et bien que les systèmes d’impôt électronique soient obligatoires, près d’un quart des contribuables de l’impôt sur le revenu des sociétés et près de la moitié des contribuables de l’impôt sur le revenu des particuliers interrogés utilisent encore des pratiques semi-manuelles avec l’aide d’intermédiaires, tels que les comptables fiscaux et les fonctionnaires des impôts.

Afrique : les avantages perçus de la numérisation de l’administration fiscale

La numérisation de l’administration fiscale gagne du terrain en Afrique. Les solutions technologiques telles que la déclaration et le paiement électroniques des impôts (ou « services fiscaux en ligne »), ainsi que les paiements numériques des commerçants, sont de plus en plus courantes.

Les gouvernements africains encouragent l’utilisation de cette technologie, car elle apporte des avantages significatifs aux contribuables et à l’administration fiscale, notamment :

L’utilisation des services fiscaux en ligne devrait également améliorer considérablement la perception qu’ont les contribuables de l’équité du système fiscal et leur volonté intrinsèque de s’y conformer.

Enquêtes : les contribuables à l’impôt sur le revenue

Alors que la littérature académique sur la numérisation de l’administration fiscale n’en est qu’à ses balbutiements, les résultats de nos deux enquêtes auprès des contribuables rwandais nous éclairent sur l’adoption de la technologie. Ces informations peuvent être utiles à d’autres pays à revenu faible ou intermédiaire.

Les enquêtes sont représentatives au niveau national de la population des contribuables, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers :

  • La première étude a permis d’interroger quelque 2 000 contribuables sur les services fiscaux en ligne. Les personnes interrogées l’ont été à quatre reprises sur une période de deux ans, à partir de la période précédant la pandémie de COVID-19.
  • La seconde étude a porté sur 1 100 contribuables et leurs pratiques en matière de paiements numériques des commerçants.

Un taux d’utilisation limité

Si le gouvernement rwandais investit massivement dans les solutions numériques, l’industrie fait de même. Les banques, les fintechs et les entreprises de télécommunications adoptent des approches originales et emploient des stratégies souvent pionnières pour passer à une économie sans numéraire. Par exemple, MTN Rwanda a développé une application d’argent mobile – MoMoPay – spécifiquement pour les commerçants effectuant des transactions avec des clients.

Cependant, nos études montrent que l’adoption de cette technologie par les contribuables rwandais est limitée, bien qu’en augmentation, et souvent difficile :

  • Avant la pandémie de COVID-19, en 2020, 19% des contribuables assujettis à l’impôt sur les sociétés et 40% des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu des personnes physiques ont déclaré qu’ils ne connaissaient pas les services fiscaux en ligne, bien qu’ils soient obligatoires.
  • Un nombre encore plus important de contribuables – 23% des entreprises et 45% des particuliers – ont déclaré qu’ils n’utilisaient pas les services fiscaux en ligne. Au lieu de cela, ils reviennent probablement à des pratiques sous-optimales et semi-manuelles avec l’aide d’intermédiaires, tels que les comptables et les fonctionnaires du fisc.
  • De même, chez les commerçants l’argent liquide reste roi (88%), bien qu’ils acceptent également l’argent mobile, soit par le biais de comptes personnels (50%), soit par l’application MoMoPay spécifique aux entreprises (45%).

Les points positifs de la pandémie : une adoption remarquable de la technologie

Il est intéressant de noter que la pandémie a remarquablement contribué à l’adoption des services en ligne.

Deux ans après le début de la pandémie, le taux d’utilisation des services électroniques avait augmenté de façon spectaculaire pour atteindre 90%, principalement en raison des exigences de distanciation sociale et d’une plus grande dépendance à l’égard de l’argent mobile en général.

L’exonération des frais de MoMoPay, introduite par le gouvernement au début de la pandémie, a également incité les commerçants à abandonner l’argent liquide au profit du service financier numérique.

Obstacles persistants

En dépit de cette croissance remarquable, d’importants obstacles à l’adoption universelle subsistent.

  • Par exemple, en 2020, les contribuables de sexe féminin, moins éduqués et moins familiarisés avec les technologies de l’information étaient moins susceptibles de connaître et d’utiliser les services fiscaux en ligne.
  • Si l’écart entre les hommes et les femmes semble avoir été comblé vers 2022, les contribuables moins bien équipés ne parviennent toujours pas à suivre le rythme des changements.
  • De même, les entreprises plus grandes et mieux équipées, dirigées par des hommes, tendent à adopter le MoMoPay dédié aux commerçants, tandis que les autres s’appuient sur des solutions sous-optimales, telles que les comptes personnels d’argent mobile ou l’argent liquide.
  • Les commissions et les frais de transaction demeurent un obstacle majeur pour les paiements numériques des commerçants. Si l’exonération des frais MoMoPay a entraîné une augmentation de l’utilisation des applications, sa réintroduction 18 mois plus tard a automatiquement poussé les commerçants à revenir au paiement en espèces. Cela a également entraîné la réduction de l’utilisation des comptes personnels d’argent mobile, même s’ils ne sont pas concernés par les frais.

Les coûts l’emportent sur les bénéfices

Pour les contribuables qui ont adopté la technologie, les deux études ont révélé des effets transformateurs très limités sur les perceptions des contribuables, et des recherches plus approfondies sont nécessaires pour mieux comprendre cet aspect.

L’utilisation des services fiscaux en ligne n’a pas amélioré de manière significative leur perception de l’équité du système fiscal et leur volonté intrinsèque de s’y conformer – deux résultats clés qui devraient être influencés par la technologie.

En ce qui concerne les paiements des commerçants, le seul effet perceptible concerne les utilisateurs de comptes personnels standard, qui ne sont pas affectés par les frais. Pour ces utilisateurs, le système fiscal est plus équitable.

Alors que les contribuables rwandais sont bien conscients des avantages de la technologie, pour de nombreux utilisateurs des services fiscaux en ligne, les problèmes techniques semblent constituer un problème récurrent. Les difficultés pratiques d’utilisation, telles que la lenteur du système aux heures de pointe, les déclarations rejetées et une plateforme d’assistance en ligne insatisfaisante, ont des répercussions négatives. Ces coûts d’utilisation finissent par créer de la frustration et un sentiment d’injustice chez les contribuables, qui l’emportent largement sur les avantages reconnus de l’utilisation des services en ligne.

Un changement de comportement limité

L’impact de l’adoption de solutions numériques sur le comportement des contribuables est également limité, selon les études réalisées.

Pour les commerçants qui adoptent les paiements numériques, la déclaration de TVA s’améliore, mais seulement à court terme, les commerçants revenant rapidement à leur comportement de conformité fiscale préalable à l’adoption, et ajustant à la fois les marges sur les ventes et les coûts de sorte que leur obligation fiscale reste inchangée.

En réalité, très peu de commerçants (18%) pensent que l’administration fiscale rwandaise a accès aux données de MoMoPay, et ne voient peut-être pas de menace d’audit ou d’application plus stricte lorsqu’ils utilisent l’application.

Le rôle politique, des perspectives d’avenir passionnantes

Pour que la numérisation réussisse dans un pays en développement – et, sans doute, dans des économies plus avancées – des facteurs d’accompagnement essentiels doivent être mis en place.

Dans le cas du Rwanda, les décideurs politiques doivent investir de manière adéquate pour renforcer la sensibilisation et l’adoption des services électroniques et des paiements numériques auprès des commerçants. Les contribuables les moins préparés doivent bénéficier d’une assistance ciblée et de mesures incitatives.

Dans le même temps, les administrations fiscales doivent exploiter le potentiel des nouvelles données, telles que celles produites par les systèmes de paiement numérique, afin d’améliorer le contrôle et l’application de la loi.

Par ailleurs, une approche impliquant l’ensemble du gouvernement ainsi qu’une collaboration entre les institutions privées et publiques – un exercice assez difficile à réaliser dans la pratique – sont nécessaires pour permettre le partage des données entre les différentes institutions.

Ces développements sont passionnants tant du point de vue de la recherche que de la politique.

Télécharger les documents de travail de l’ICTD

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Fabrizio Santoro

Dr Fabrizio Santoro est basé à l’Institute of Development Studies, où il travaille en tant que chargé de recherche des études empiriques sur la conformité fiscale au Rwanda, en Eswatini et en Ouganda, ainsi que sur la fiscalité informelle en Somalie. Is est le chercheur principal pour le deuxieme composant du programme DIGITAX de l'ICTD.

Kelbesa Megersa

Kelbesa Megersa est titulaire d’un doctorat en économie appliquée. Il s’intéresse à de nombreux domaines de recherche relatifs au développement, en particulier au financement du développement, à la fiscalité et au développement du secteur privé dans les pays en développement. Kelbesa est chercheur à l’Institute of Development Studies depuis 2019. Avant cela, Kelbesa a travaillé comme chercheur doctoral et post-doctoral rattaché au Belgian Policy Research Group on Financing for Development de l’Université de Namur. Kelbesa possède plusieurs années d’expérience en matière de recherche politique et de conseil. Il a fourni un soutien politique fondé sur la recherche au ministère du Développement de la Belgique, au ministère des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement et, auparavant, au ministère du Développement international du Royaume-Uni, entre autres.