Confrontés à des niveaux d’endettement parmi les plus élevés depuis plus de dix ans, les pays africains ont du mal à équilibrer leurs finances publiques. Pour accroître les recettes, l’augmentation de la fiscalité provenant des citoyens apparaît comme une solution évidente.
Un bon point de départ pour les pays africains serait de se concentrer sur la contribution fiscale des citoyens fortunés. En effet, les taxes les moins performantes sont celles qui portent sur les revenus des personnes fortunées, notamment l’impôt sur le revenu des personnes physiques et l’impôt foncier.
Il y a deux raisons principales à cela : d’une part, les personnes les plus aisées dans certains pays sont souvent invisibles aux yeux des autorités fiscales, même si leurs obligations fiscales sont plus importantes. A titre de comparaison, les citoyens ayant des contrats de travail formels comme les enseignants des écoles publiques ou les employés de supermarché, voient leurs impôts prélevés directement par leurs employeurs, rendant l’évasion fiscale pratiquement impossible. La plupart des impôts sur le revenu des personnes physiques en Afrique sont payés par les citoyens qui occupent ces types d’emploi.
En revanche, avant 2015, seul l’un des 71 plus hauts fonctionnaires ougandais et 17 des 60 avocats les plus prospères du pays payaient l’impôt sur le revenu des personnes physiques. De même, seuls 16 % de tous les propriétaires identifiés à Freetown, la capitale de la Sierra Leone, lors d’une campagne d’enregistrement en 2021 s’étaient inscrits au registre fiscal.
Cela montre que les Africains fortunés sont soumis à des taux d’imposition effectifs inférieurs à ceux des citoyens moyens, reproduisant une tendance déjà démontrée pour la charge fiscale relative des petites et grandes entreprises.
Cette situation est décourageante. Mais les autorités fiscales africaines peuvent prendre des mesures immédiates pour réparer cette injustice.
Les recherches menées par le Centre international pour la fiscalité et le développement, auxquelles j’ai contribué, montrent que l’on peut augmenter les recettes fiscales provenant des citoyens fortunés en mettant l’accent sur une meilleure application des impôts existants plutôt qu’en introduisant de nouveaux ou en augmentant les taux d’imposition.
Une approche efficace pour augmenter la contribution fiscale des citoyens fortunés repose sur trois stratégies :
- leur identification
- une simplification des procédures de conformité fiscale, et
- l’application effective des impôts existants.
Bien que ces suggestions puissent sembler banales, elles peuvent conduire à une augmentation rapide des recettes : jusqu’à 5,5 millions de dollars américains en Ouganda ou 900 000 dollar dans un seul État du Nigeria en un an. Elles peuvent même permettre de tripler les recettes de l’impôt foncier, comme cela a été observé en Sierra Leone.
Mais ces améliorations nécessitent des changements dans le mode de fonctionnement des administrations fiscales africaines.
Les services de recouvrement des impôts doivent changer d’orientation
Les services fiscaux de tous les pays africains doivent être mieux dotés en ressources. Un agent des impôts typique sur le continent peut être responsable de jusqu’à 10 fois plus de contribuables qu’un agent des impôts dans les pays du Nord.
Tout d’abord, leurs efforts doivent être réorientés vers d’autres domaines que l’enregistrement des petites entreprises informelles. Il a été démontré que ces efforts ne génèrent que peu de recettes dans des pays aussi divers que l’Afrique du Sud et la Sierra Leone.
Leurs efforts devraient plutôt être orientés vers l’élaboration d’une définition des individus à haut revenu, adaptée au contexte national. En Ouganda, cela inclut des critères tels que la réalisation de transactions foncières d’environ 300 000 dollars US sur cinq ans, ou la perception d’environ 150 000 dollars US de revenus locatifs au cours d’une année donnée.
En raison de sa structure fédérale, les critères varient d’un État à l’autre au Nigeria. Par exemple, un revenu annuel supérieur à 2 millions de nairas est requis dans les États de Borno et de Kano, tandis que ce seuil passe à 15 millions de nairas dans l’État d’Imo, à 20 millions de nairas dans l’État du Niger et à 25 millions de nairas dans l’État de Lagos.
Cependant, dans les deux pays, les critères couvrent également des actifs moins directement mesurables, tels que la possession de forêts commerciales ou de ranchs d’élevage de grande valeur en Ouganda, ou l’obtention de contrats du gouvernement dans l’État de Kaduna au Nigeria.
Les taxes foncières revêtent une importance particulière. Des recherches menées en Éthiopie et au Rwanda montrent que l’immobilier constitue l’une des principales stratégies d’accumulation de la richesse, surtout lorsque l’inflation et les fluctuations des taux de change rendent les dépôts bancaires peu attractifs.
Ces biens contribuent alors à augmenter les revenus des citoyens fortunés qui les louent ou les revendent pour en tirer profit. Bien que nous manquions de données détaillées sur les plus-values ou les impôts sur les revenus locatifs, il y a de bonnes raisons de penser qu’ils sont également largement sous-exploités. Les plus-values font référence à la valeur supplémentaire qu’un investisseur accumule lorsqu’il cède des actifs tels que des maisons ou des actions d’entreprises achetées précédemment à un prix inférieur.
Deuxièmement, cela devrait être suivi par la création d’un bureau chargé de suivre les affaires des particuliers fortunés. Cela se fait déjà pour les gros contribuables. La plupart des pays, y compris la majorité des pays africains anglophones, disposent d’un bureau dédié au suivi des affaires fiscales des grandes entreprises actives sur leur territoire. En effet, la plupart des administrations fiscales ne disposent pas de données détaillées sur les actifs détenus par leurs contribuables. Même lorsqu’elles disposent d’informations, comme le nombre de maisons, les estimations de leur valeur marchande, peuvent faire défaut.
Les pays africains ont tout intérêt à s’appuyer sur les données dont ils disposent déjà pour collecter d’autres informations utiles sur leurs contribuables. Cela permet d’établir un ensemble de critères multiples, qu’ils soient essentiels ou secondaires.
Troisièmement, les unités dédiées aux individus à haut revenu ont besoin d’être fortement soutenues. En premier lieu, celle de la direction des autorités fiscales, qui doit à son tour bénéficier du soutien du gouvernement pour poursuivre des personnes souvent bien réseautées. Ce soutien est nécessaire pour des actions aussi simples en apparence que l’obtention de données auprès d’autres organismes gouvernementaux, sans lesquelles les efforts d’identification pourraient être rapidement contrecarrés, et devient crucial lorsqu’il s’agit de passer à l’application de la loi.
Cependant, une approche collaborative devrait être privilégiée en priorité. L’une des stratégies consiste à instaurer des programmes de déclaration vonlontaire accompagnés d’amnisties fiscales. Ces programmes sont efficaces pour obtenir des informations sur les actifs des citoyens fortunés. En outre, ils génèrent des recettes substantielles – jusqu’à 296 millions de dollars américains en Afrique du Sud et 192 millions de dollars américains au Nigeria.
Quatrièmement, exiger des candidats à des fonctions publiques qu’ils fournissent un quitus fiscal peut constituer constituer une source importante d’informations et de recettes. Cela s’est avéré efficace tant en Ouganda qu’au Nigeria.
Cet ensemble de mesures représente un point de départ optimal pour les pays africains qui cherchent à améliorer la contribution fiscale des citoyens fortunés.
Les efforts visant à produire des orientations appropriées sur la fiscalité des riches dans les pays à revenu faible par les Nations unies ou à introduire une taxe mondiale sur la fortune des milliardaires par le G20 brésilien, sont importants pour mettre en évidence le rôle de la redistribution fiscale dans la lutte contre les inégalités. Mais de nombreux pays africains seraient mieux lotis s’ils commençaient par s’attaquer avec audace aux fondements de leur système fiscal, ce qui pourrait déjà le rendre plus efficace et progressif.
Cet article a été publié pour la première fois dans The Conversation Africa.